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Photo du rédacteurvaguedemots

Danse sous la pluie


 

TW : scènes violentes


Le calme de Woodstock se brise lorsque Julia, New-Yorkaise en quête d'apaisement, est rattrapée par ses chagrins jusqu'alors dissimulés. Loin de la frénésie urbaine, les fantômes de son douloureux passé reviennent la hanter. Un homme visiblement sans cœur ne va pas arranger les choses, bien au contraire, Kyan va bouleverser son équilibre fragile. Julia va alors devoir plonger au cœur de ses émotions les plus intenses, faisant face à une vérité qu'elle était loin d'imaginer.




PLAYLIST


One hundred times - LaKesha Nugent

Solas - Gibran Alcocer

This city (accoustic) - Sam Fisher

Felt like playing guitar and not singing part 2 - Two Feet

A night to remember - Shalamar

Hope - Tony Ann

The reason - Hoobastank

Save my soul - Jonah Kagen

Without you - Mr Tout Le Monde

Calmness - MVTRIIIX

No love for a sinner - Shaya Zamora


 

1. VACANCES, J'OUBLIE TOUT !


Premier jour de vacances.. fin.. vacances.. disons que je change d'environnement ! Quel bonheur de sentir cette douce fraîcheur matinale, celle qui me donne l'envie de sortir explorer les environs. J'ai attendu trop longtemps avant de me décider à partir au grand air, me mettre au vert.


Sur un coup de tête j'ai réservé un séjour d'un mois dans un village paisible et calme de prime abord.  Certainement poussé par la nécessité de sortir du quotidien, fuir la foule de touristes, celle que je cherche tant à éviter. Je déteste l'effet de masse. Quelle idée de vivre au cœur d'une métropole lorsque l'on aspire à une vie faite de calme et de nature !


New York.. mon cul.


Me voilà donc, à peine réveillée, les cheveux encore en bataille, habillée de mon pyjashort noir bordé de dentelles. Les températures sont plus faibles qu'à mon habitude, ma peau se recouvre rapidement de frissons lorsque je passe la porte d'entrée. Je m'avance sur le perron qui craque sous mes pas et pose mes avant-bras sur la vieille rambarde en bois. Ma tasse de café fumante entre les mains, j'observe les alentours de mon chalet, celui qui sera mon refuge durant les jours, les semaines à venir. Les oiseaux chantonnent dans les arbres d'une hauteur infinie qui se dressent devant moi. Seul le silence de la nature résonne comme mélodie. Le soleil traverse les feuillages éclairant légèrement mon visage. Alors, je ferme les yeux, et savoure la chaleur mêlée à la fraîcheur de l'air. Paisible.


À cause de mon fichu corps éreinté par les 3 heures de route de la veille, merci ma voiture des années 90, j'hésite à arpenter les chemins qui s'offrent moi, mais l'envie de découverte prend rapidement le pas sur cette fatigue cuisante. De la nature à perte de vue, aucun voisin à proximité, la solitaire que je suis adore cette ambiance. J'échappe un sourire mêlé à une sorte de .. crie de joie en sautillant sur place! Tu pètes les plombs ma vieille. Je finis mon café puis, ni une ni deux, je rentre dans la cuisine et manque de casser le mug en le posant maladroitement dans l'évier. Je me jette dans ma valise encore ouverte au pied du lit, afin de trouver une tenue adéquate. Mes vêtements volent dans les airs dans des gestes rapides et toujours... maladroits ! Puis s'ensuit d'une course folle de brossage de dents en enfilant mes chaussures, évidemment, la chute s'est failli de peu, comme toujours. Si la maladresse avait un visage, croyez-moi, ce serait le mien !


Dès qu'une idée me vient en tête, je ne peux m'empêcher de me mettre en action dans la seconde, peut-être par crainte que celle-ci s'évapore, ou par un besoin presque vital d'agir. Soit. Me voici fin prête, fermant la porte toute faite de bois marron foncé, puis descendant le perron qui craque encore sous mes pieds. Le chalet doit être aussi vieux que les arbres le surplombant, j'espère que rien ne me tombera sur la tête ou se brisera sous mes pieds !


Je range les clés dans mon sac banane porté en bandoulière au-dessus de mon large t-shirt « Pink Floyd » sûrement volé à un ex car ce n'est pas un groupe que j'écoute, d'ailleurs j'ai complètement oublié de prendre mes écouteurs. Tant pis Julia, la nature chantera pour toi. J'ai opté pour une tenue simple et confortable avec un legging noir à mi-cuisse, l'aventurière que je suis se met en marche en sautillant comme une enfant. C'est fou comme loin des regards je me permets ce genre de choses si naturellement. Je longe le côté du chalet, un panneau indique le cœur du village à 2km. Il est huit heures du matin, une fois arrivé, ce sera parfait pour le petit-déjeuner.


Le sentier est fait de terre au milieu de la nature, des arbres et des fleurs. Ce paysage me replonge dans mon enfance, à Napa, en Californie. La mélancolie s'empare de moi lorsque j'observe les environs et visualise ces souvenirs. Avec mes parents et mon frère, Eliot, nous vivions dans une maison au cœur de la campagne, entouré par la forêt et les vignes. Mon père était passionné par le vin, il tenait d'ailleurs son propre vignoble. C'est alors qu'un sourire triste se pose sur mes lèvres, en pensant à ces fois où je courrais à travers champs avec mon frère, je revois son visage, râleur, lorsque je le poussais dans les hautes herbes ! Alors, pour me faire pardonner, je le laissais gagner la course que nous faisions à vélo en longeant les rangées de vignes, ce qui lui rendait immédiatement son sourire d'ange. Mais c'était sans compter sur mon père, qui nous hurlait dessus lorsque l'on se cachait après tant d'effort pour manger le raisin avant la saison des vendanges, puis nous rentrions les mains et la bouche violette, sous le regard amusé de ma mère qui ébouriffait toujours les cheveux d'Eliot lorsqu'il passait la porte.


À mes 23 ans j'ai emménagé dans un petit appartement au cœur de Napa, amoureuse de la ville et ne voulant pas m'éloigner de mes proches, car toute ma vie résidait là-bas. Bien souvent mon père me rendait visite alors, lors de nos soirées il ramenait le vin et moi, je cuisinais ! Du moins, j'essayais ! C'était nos moments, nos rendez-vous mensuels, ceux durant lesquels nous pouvions tout nous dire, à cœur ouvert, nos doutes, nos craintes, nos peines. Nous nous asseyons sur mes coussins autour de la table de salon, puis il me parlait de ses ventes qui se faisaient de plus en plus rares, et moi je lui confiais ô combien Matt, mon ex, me brisait le cœur. Et bien souvent nous finissons dans des rires et des blagues bien plus que limites ! C'est ce que j'aimais chez mon père, face à lui sans appréhension, je pouvais être moi, complètement moi-même, sans crainte d'être trop. Mais ça, c'était avant que la vie n'en décide autrement, quelques années plus tard, lorsque ce paradis nommé Napa, était devenu l'enfer de mes souvenirs.


Une larme s'échappe de mes yeux, celle que je repousse en relevant et secouant la tête, comme en disant « non, pas maintenant. », la tristesse peut attendre, comme depuis trois années maintenant. Je ne me suis jamais réellement autorisée à vivre ce chagrin, peut-être même que depuis ce jour, je ne suis jamais autorisée à vivre tout court.


Sur la route le soleil me suit à travers les feuillages, ma vision est émerveillée par ces couleurs, ces fleurs inconnues que je rencontre au fur et à mesure. Le pic d'une église apparaît à quelques pas entre deux arbres. Le village de Woodstock n'est plus très loin. Après une bonne demi-heure de marche et de découverte, me voici au cœur même du village. Petit cœur. Une église et.. un bar. Quoi, putain c'est tout ! Des petits chemins apparaissent à ma gauche et ma droite, alors j'arpente ces rues une à une comme un putain de labyrinthe. Une devanture jaunâtre se voit dans l'angle d'une ruelle. Visiblement.. une boulangerie. J'avance à grand pas poussé par mon ventre criant famine.



 

2. A L'OMBRE DE TON REFLET


Le tintement d'une clochette retentit lorsque que j'ouvre la porte. Devant mes yeux une grande vitrine annonce des gourmandises à n'en plus finir ! Une femme s'avance affichant un sourire des plus éclatant faisait apparaître des rides aux creux des yeux.


- Bonjour Madame, vous avez choisi ?


- Bonjour.. Je... euh... tout me donne envie.

Je lâche timidement en me tenant le visage ce qui ne manque pas de la faire rire.


- La gourmandise est la meilleure qualité qu'il soit !


- Pas pour ma balance !

Je lui réponds en faisant les gros yeux ironiquement.


- Oh vous savez, qu'importe les chiffres lorsqu'on aime vivre !


- Vous allez me convaincre de vous dévaliser si tôt ! Je vais vous prendre un pain au chocolat et.. un.. quelque chose de votre choix. Je voudrais bien faire une découverte aujourd'hui !

Je réponds rapidement en laissant faire écho ses propres mots dans mon esprit "lorsqu'on aime vivre".


- Alors, en ce moment nous avons le "Goulinou" qui est une spécialité du coin, une sorte de broche à cannelle, et .. je ne vous en dis pas plus pour la découverte !

La vendeuse termine sa phrase avec un clin d'œil.


- Ce sera parfait ! Et si vous avez du café, je vous prendrai bien une tasse, j'en ai bien besoin. Je vous remercie.


- Installez-vous, je vous apporte ça, vous semblez avoir besoin de repos !


- Oh que oui ! Mon corps et ma tête relâchent complètement aujourd'hui.

Elle opine du chef puis nous échangeons un sourire. Je prends place sur le comptoir en face de la vitre. Les lieux sont petits, un peu vieillots, mais accueillants. Une longue planche collée à la baie vitrée fait office de table accompagnée de 4 tabourets. Je pose mon sac sur le siège proche du mien, et observe la rue déserte, paisible, qui s'offre en spectacle devant mes yeux. Je n'eus le temps d'avoir un discours intérieur profond que la dame vint me poser un plateau devant le nez.


- Voici de quoi reprendre des forces ! Et bienvenue chez nous, si vous avez besoin de conseils pour les alentours, je peux vous aid...


- Arrête d'embêter la dame et laisse-la boire son café avant de lui faire l'avalanche d'informations signée Nicole !

Gronda un homme au coin de la porte, probablement celle de la cuisine dernière le comptoir. La fameuse Nicole roula des yeux avant de me chuchoter en souriant.


- Toujours quelque chose à redire celui-là, et encore, vous n'avez pas pu le fils.. c'est pire !


Elle glousse et je lui rends un sourire timide, ne sachant pas vraiment comme réagir. Je n'ai jamais été très douée pour les premiers contacts donc.. je ne m'y attarde pas, préférant m'atteler à me remplir la panse. Le goulagou.. non le .. oh merde je ne sais plus. Leur spécialité est d'une douceur qui ravive mes papilles en attentent depuis trop longtemps. Je ne peux m'empêcher de fermer les yeux savourant chaque mâchouillement et les saveurs qui se révèlent les unes après les autres. N'ayant rien dans le ventre depuis hier midi, il était temps de nourrir ce corps qui pourtant ne manque pas de réserve. Je plaide coupable de gourmandise, mes hanches en soient témoin !


Et pourtant, à plus de 15 heures de jeune mon corps commençait à hurler SOS ! Ma réservation s'étant faite hier matin, j'ai pris la route en début d'après-midi afin d'arriver avant la nuit. Soit à 17 heures, je garais mon vieux tacot devant le chalet, chaleureusement accueillie par Monsieur Joggio, le propriétaire. Mais une fois les clés en main et les au revoir fait, le sommeil m'a emporté à peine les fesses posées. Une longue nuit coupée pour passer du fauteuil peu confortable au lit en enfilant mon pyjama à l'aveugle ! Je souris intérieurement en me félicitant d'avoir pris cette décision et me déconnecte de tout pendant cet instant. Heureuse d'être ici, loin de l'agitation de la ville, en train de manger cette merveille. Bordel de merde, on peut dire ce qu'on veut, manger, ça rend heur....


- Étalez-vous dans toute la boutique aussi non ?

Crache une voix brute et masculine à ma droite, ce qui me fait sursauter et sortir de ma bulle. Je le regarde incrédule, la bouche encore pleine de brioche.


- Allez-y mais faites comme chez vous !

Continue le gars en désignant mes affaires posées sur l'autre tabouret.


- Ohhh chaavaaa pas la peine d'être déchagréable !

J'essaie maladroitement d'exprimer en finissant la brioche dans ma bouche et retirer mes affaires du siège. D'un geste je les pose violemment sur la table en l'affrontant du regard, quel con.


- Madre de dios ! Ça ne dérange personne Ky, tu peux t'assoir ailleurs !

Hurle Nicolle de l'autre côté du comptoir


Je l'entends dire quelque chose d'inaudible dans ronchonnement silencieux tout en se pinçant le nez. Il s'assied sur le siège que j'ai libéré à mes côtés. Malgré le fait qu'il soit assis, il me surplombe de son long et large buste.


L'air est électrique, le calme est rompu laissant place à une violente tension. Dans la vitre je vois le reflet de Nicolle s'avancer avec une tasse fumante. Elle la pose délicatement puis, lui donne une tape derrière le crâne avant de retourner à ses taches matinales ! La surprise de l'homme, son « aïe », suivit par le rire du mari de Nicolle, font que je manque de m'étouffer dans un pouffement de rire à mon tour. Son regard se tourne vers le mien, le visage fermé, j'arque un sourcil narquois en revenant à mon plateau. Les minutes se passent dans des jeux de regards agressifs par le biais du reflet dans la vitre, alors que j'aurai simplement voulu.. profiter du calme de la rue. Ce petit manège dure jusqu'au moment où ce con daigne enfin partir. En se levant, il lance un regard vers le comptoir avant de s'approcher de mon oreille et me chuchote :


- T'es mignonne, mais t'as pas l'air futée. Ne t'aventure pas dans des chemins de forêt, car toi, je ne viendrai pas de te chercher.

Dit-il en posant sauvagement une carte sur la table.


- Bonne journée chéri, et donne ton numéro à la dame au cas où elle se perde pendant son séjour !

Dis Nicolle en remettant des croissants.


- Si mama, c'est fait ! Bye.


Je ne manque pas de lui adresser un doigt d'honneur lorsqu'il passe devant la vitre avec sa démarche droite et sûre. Mais qu'est-ce que tu fous Julia, range ton envie de briser l'ego de tous les mecs que tu croises bon sang ! Ses cheveux bruns mi-long, promènent au gré de l'air passant. On peut dire ce qu'on veut, il dégage un certain charisme. Il me fixe avant de m'imiter en faisant une grimace tout en gesticulant, reproduisant mon doigt d'honneur ! Ses yeux charbons gagnent une nouvelle fois les miens, le visage soudainement fermé. Ce mec est profondément perturbé ma parole. Je mords l'intérieur de ma joue en levant la tête afin de ne pas rire devant son petit numéro. Il secoue la tête visiblement agacé en continuant sa route.


Quelques minutes plus tard, c'est à mon tour de prendre la direction de la sortie. Je salue chaleureusement le couple, les remerciant de leurs gentillesses puis je rejoins la rue avec la fameuse carte en main. Je la regarde avant de la placer dans mon sac.


Kyan Rodigrez – Guide et sauveteur


Un numéro de portable que je présume être le sien est noté ainsi que son mail, puis en bas le lien menant vers son site. Site que j'irai avec plaisir visiter car ma curiosité me fait souvent défaut ! Son logo est sobre, on y voit l'ombre d'un homme portant un sac à dos en tirant une corde. Mouai. Pas folichon. Soit. Je range cette petite chose minutieusement, car je compte bien mener mon enquête..


Qui es-tu, Kyan ?



 

3. SOUS UNE PLUIE DE SOUVENIRS


J'arpente les rues entre pierres et verdure. Les sourires ainsi que les salutations fusent malgré certains regards interrogateurs. Je suppose qu'ici le visage d'une inconnue ne passe pas inaperçu ! Soit. Un sentiment de légèreté m'envahit, je me sens comme à la maison, comme à ma place. Mais ou est-elle finalement, ma place ? On dit souvent qu'elle se trouve auprès des gens que l'on aime, mais si nous n'avons personne, où se trouve-t-elle ?


Quelques connaissances font partie de mon répertoire depuis mon arrivée à New-York, notamment grâce à mes cours de boxe, mais aucun lien ne s'est réellement créé, hormis celui que j'entretiens avec ma voisine. Esthère est arrivée il y a cinq ans à New-York, cherchant elle aussi à créer une page blanche dans un lieu sans souvenir. Prendre un nouveau départ nécessite bien souvent de partir de l'endroit où les souvenirs sont bien trop intenses. Mais comment sait-on que l'on part pour guérir et non pour fuir ?


Nous nous disions seulement bonjour, jusqu'au jour ou madame a tenté de porter un sac de courses le pied dans le plâtre en béquille.. oui.. c'est impossible, mais cette demoiselle est bien trop têtue ! Je rentrais du travail, alors j'ai klaxonné pour attirer son attention et proposer mon secours. Le bruit l'avait tellement surprise qu'il s'est failli de peu qu'elle se fasse l'autre guibole !


Mon aide avait été grandement utile durant sa convalescence, alors pour me remercier elle m'invitait, puis petit à petit notre lien s'est transformé en véritable amitié. Affalées sur son petit canapé à chanter des vieilles musiques des années 80, ou sur les chaises de mon balcon à fixer les étoiles. Nous parlons de tout et de rien, notre quotidien, nos rêves, nos histoires de cul, parfois des confessions sur nos profondes blessures, ça, sûrement après un verre de trop, réponse à un taux d'alcool trop élevé ! Nous sommes un peu brut de pomme, mais parfois notre cœur guimauve prend le dessus.


Pour le reste, nous sommes diamétralement opposées ! J'ai les yeux noisette, les siens sont comme le ciel, je suis généreuse.. physiquement aussi, quant à Esthère, elle est grande et élancée. Ma nature est plutôt solitaire et sauvage tandis que la sienne est sociable et noctambule ! Elle est ce rayon de soleil dans mes jours sombres, moi je tire plus vers l'étoile, obscure mais accompagné de cette lumière dans mon âme.


Mes pensées s'achèvent lorsque je passe devant une supérette, j'ouvre la porte et.. bordel.. nous sommes loin de mes centres commerciaux ! Derrière la caisse un jeune blondinet me salue, je lui rends en souriant et m'affaire à trouver de quoi cuisiner à travers les minuscules rayons. La classique tomate, mozza.. mouais.. oh.. et si je faisais des lasagnes ! Je prends un sac cabas qui se remplie à vue d'œil avant de me présenter devant l'unique caisse proche de l'entrée. Je pose rapidement les articles sur le tapis un à un, pâtes, tomates, viande, épices, et tutti quanti.


- Laissez-moi devenez, vous êtes italienne ou passionnez par la gastronomie de ce pays ?

Dit le caissier en ramenant ses doigts à sa bouche comme le font les Italiens, ce qui me donne un sourire plus que sincère.


- Oui, dans le mille !

Le père de mon père de mon père, soit mon arrière grand-père était italien, ce qui a surement donné le goût du vin au mien ! Je me souviens encore de ce voyage en Toscane.. ce doux souvenirs dans les vignes italienne.


Je récupère mes articles en essayant de les ranger en mode tetris. Puis après avoir réglé mon dû, je sors en saluant le jeune vendeur tout sourire. Bordel, mon sac pèse une tonne et j'ai encore le trajet jusqu'au chalet, alors j'avance, en alternant le poids d'un côté, puis l'autre.


*


Je passe la porte et une goutte de sueur s'échappe de mon front. Je dépose le sac de courses et range les ingrédients à leur place. Le chalet est petit, mais n'en est pas moins bien conçu. À gauche de l'entrée une kitchenette se présente, puis de l'autre côté nous avons deux fauteuils devant une table basse. Une bibliothèque est placée de sorte à remplacer la télévision, portant de sublimes libres anciens contrastant avec la décoration moderne, puis au fond se trouve une petite salle d'eau, ainsi qu'une chambre. Malgré la petitesse de l'endroit, un lit deux places s'offre à moi, pour mon plus grand plaisir !


Et merde ! Une tomate roule sous l'évier et me voilà aplatie au sol comme une crêpe essayant de rattraper cette boule rouge ! Une fois le légume mis en sécurité, je prends les clés et sors rapidement car il pleut, mon temps favori !


L'eau s'écrase de plus en plus violemment sur le sol, le tonnerre gronde au loin. J'avance droit devant moi après avoir dévalé le perron, les bras ouverts, un gigantesque sourire aux lèvres Comme une enfant je sautille dans les flaques que je rencontre. J'ai 12 ans ou quoi !


Je m'approche de la rivière à quelques pas devant le chalet, en écoutant les sons qui se mélangent, les gouttes, le courant, les branches qui dansent, tout devient poétique et dans mon cœur les émotions explosent. Un instant, je ferme les yeux, inspire profondément et savoure chaque seconde, comme si, une à une, chacune de ces perles réanimait les parties de mon âme meurtrie. Merde, je pleure ou ris ?


Puis sans comprendre tout devient trop, trop joyeux, trop triste, trop vivant, trop sombre. J'explose. Un sanglot. Un autre. Entre deux sourires. À chaque pleur, mon âme se brise, la douleur est si intense que mon visage en reflète la profondeur. Depuis combien de temps ai-je gardé ces larmes ?Prises dans le quotidien, le speed, les projets, le travail je n'ai pas sentie la lourdeur dans mon cœur.


Mes yeux se posent à nouveaux sur le spectacle devant moi, mais les souvenirs m'assaillent. Ma famille, mon frère, Napa, Matt, mes amis, mes actes manqués, cette autre vie qui revient me hanter habituellement dans mes nuits. Je m'écrase, genoux au sol, sous la charge de mon passé qui me rattrape. Le visage entre mes mains, je pleure jusqu'à ce que la tristesse s'épuise, celle qui laisse place à ce vide, profond, que je ressens si fréquemment. Le vide d'amour, de tendresse, le vide qu'ont laissée mes proches, ceux qui nous ont quittés, et ceux qui m'ont fuis.


Ma poitrine se comprime sous cette angoisse, la main sur le thorax, je régule ma respiration. Concentre-toi, ça va aller, trois choses que tu vois, trois choses que tu entends, trois sensations, ici et maintenant, tu es en sécurité.


Après quelques longues minutes, je reprends le contrôle, mes inspirations se font plus lentes, plus profondes. Je regarde mes genoux trempés, sous la boue désormais. Ce qui me fait rire à travers mes larmes, car on nous rabâche durant toute notre enfance de faire attention, de ne pas se salir pour finalement sauter dans les flaques et se ravager de boue à presque trente ans ! Alors j'inspire une nouvelle fois, à plein poumon, la tête vers le ciel qui déverse également ses émotions, laissant une dernière perle s'échapper, glissant sur mon sourire naissant. Ça fait du bien, puta... einh ?


Le craquement d'une branche me fait sursauter et jette un regard furtif derrière moi.. qu'est-ce que.. un animal ? le vent ? Dans un geste impulsif, par instinct de survie, je fais demi-tour et je me précipite vers le chalet. Il me faut moins de deux minutes pour passer la porte que je referme aussitôt derrière moi. Je tire les rideaux et attend quelques minutes silencieusement assises derrière la porte d'entrée. Pourquoi au sol benête, tu aurais pu trouver plus confortable ! Les secondes ne m'ont jamais paru si longues, perturbée entre mes émotions récentes et cette peur envahissante. Peut-être est-ce des minutes qui sont passées depuis ? Je n'en sais rien, n'osant pas bouger par crainte de voir malgré moi un esprit, un ours, un assassin à travers le rideau ! J'essaie de reprendre ma respiration lorsque le bois du perron se met a grincé. Des pas. Il y a un PUTAIN d'intru che...



 

4. PEUR DANSANTE


Toc

Toc

Toc


Toujours adossée contre la porte d'entrée, prise par surprise, mon sursaut m'a valu un coup de tête contre le bois putain de solide ! Je vous le mets dans le mille, mon "aïe" sorti du fond de mes entrailles, a probablement été perceptible à 10km à la ronde. Top Julia, pour la discrétion on verra plus tard. Je m'insulte intérieurement face à cette situation tout en massant l'arrière de mon crâne un tant soit peu douloureux. Ça y est, c'est mon heure, je vais y passer bordel, un chalet au milieu de la forêt, tu vas crever et finir dans les faits divers, impossible de fuir. Piégé comme un rat dans un laborato...


Une voix féminine rompt ce lourd silence.


- Tout va bien ? Je suis Cathy Joggio, la propriétaire. Hier vous avez vu mon mari, à la remise des clés. Je suis passée car nous avions eu des soucis d'infiltrations le mois dernier, mais je n'ai pas réussi à vous joindre. Tout est bon pour vous ?


Bon sang ! Je me lève d'un bond et ouvre la porte. Je reconnais son visage aperçue sur l'application de réservation et effectivement, son mari m'a également signalé qu'il était impossible de me joindre via le numéro indiqué sur mon profil. Fais chier j'aurai pu m'éviter cette scène digne de "petit secret entre voisin" ! Ma main se porte à mon cœur en expirant bruyamment avant de répondre.


- Oui.. oais.. vous.. vous m'avez foutu une de ces trouilles! J'étais proche de la rivière quand j'ai entendu un craquement à l'arrière du chalet. Je m'attendais à tout, un ours ou .. ou un malade tout droit arrivé des enfers pour mon plus grand malheur !

Dis-je en gesticulant mes bras comme une folle. Puis je pose mes mains sur mes hanches, tout en fermant les yeux j'expire, laissant mes épaules se relâcher. Digne de la dramaqueen que je suis!


- Oh ma belle, je ne voulais pas vous terroriser. Rassurez-vous vous ne risquez rien ici, mais je peux rester quelques minutes le temps que vous repreniez vos esprits. Il y a du bon thé dans le placard.

Cathy me répond en posant sur moi un regard maternant, rassurant, ponctuant sa phrase par un clin d'œil amical.


J'acquiesce en me décalant pour lui faire place. Elle m'indique le fauteuil en levant un sourcil et s'affaire à préparer du thé tout en me racontant les dégâts qu'ont causés les dernières pluies, ceci explique cela. Cathy craignait que me noie ou prenne la foudre ! Les anciens vacanciers ont connu un réveil original, les gouttes ruisselaient au-dessus de leurs visages. Je trouve ça plutôt cocasse, ils auront au moins une belle anecdote à raconter !


Lorsqu'elle revient armée de nos deux tasses fumantes, nous échangeons chacune installée dans un fauteuil. Comme à mon habitude je rabats un genou contre ma poitrine, pliant l'autre sur le fauteuil. Tu m'étonnes que tous les quatre matins mon dos se trouve en compote, mon ostéo se fait des couilles en or grâce à cette fichu manie ! Je n'ai jamais compris comment font ces gens qui tiennent dans une position statique, bien droite durant plus de 30 secondes, moi, je boulègue à tout va.


Cathy me signale que c'est une mauvaise période d'un point de vue météorologique, me faisant promettre d'être prudente durant mon séjour. Nous discutons de mes premières impressions, des paysages environnent, tout et rien qui m'apaise rapidement et m'éloigne de mes angoisses. Nous finissons par nous tutoyer et rire grâce à nos blagues toutes des plus légères. Une chose est sûre, une belle âme se trouve devant moi, prévoyante, aimante, à ses côtés tout devient doux. Il y a de ces êtres qui, de part leur présence, apaisent tout un espace. Leur cœur doit être si grand que l'amour se répond tout autour d'eux.


- Je peux te poser une question ?

Me demande Cathy


- Hum..

Dis-je en retirant la tasse de ma bouche


- Que faisais-tu au bord de la rivière sous l'averse ?


- Arf.. Te moques pas, mais.. j'adore la pluie ! Il y a ceux qui la voient comme le démon de la météo, puis il y a les gens comme moi, ceux qui sortent dès la première goutte. Parce que sentir l'eau ruisseler sur notre peau nous rappelle à quel point .. à quel point nous sommes vivants. Je ne saurais pas comment décrire cette sensation, ça me submerge à chaque fois ! Entre la nostalgie, la mélancolie, je suis tristement heureuse tu vois ? Un sourire noyé dans mes larmes, mais putain Cathy .. ce sont mes moments favoris ! Tout s'arrête, et en même temps, tout prend vie. Ça nettoie tout le négatif. C'est comme si, le temps s'autorisait à vivre ses émotions et cela faisait écho dans mon esprit.


- C'est drôle on dirait ma sœur ! Comme toi une goutte de pluie et ses yeux s'illuminent. C'est bon d'entendre quelqu'un parler de ce qu'il aime profondément. Tu sais, les gens portent dans leurs yeux l'amour pour ce qu'il raconte. Je trouve que la plus jolie mélodie est celle des paroles d'un cœur qui explique ce pour quoi il vit, parfois, survit.

Me répond-elle avec douceur, son regard ancré dans le mien. Puis elle reprend en tapant ses cuisses sans me laisser le temps de rétorquer quelque chose.


- Sur ces doux mots, je vais rejoindre mon mari qui va s'inquiéter et se faire un tas de film insensé ! Ah les hommes..

Cathy rit d'elle-même en levant les yeux au ciel et quitte le fauteuil.


Je lui rends un sourire franc puis nous nous levons en simultané, reposant les tasses sur la table basse. J'accompagne Cathy à la porte tout en la remerciant plus que de mesure pour sa présence. En posant sa main sur mon épaule, elle m'indique qu'il y a un carnet proche des livres avec tous les numéros d'urgence y compris le sien.


Posée contre la chambranle de la porte, j'observe le ciel qui s'est dégagé, laissant un filament de lumière s'échapper. J'entends le ronronnement du moteur démarrer à l'arrière du chalet et moi, je sens mon cœur plus léger comme si un ange m'avait rendu visite. Ses traits fins malgré son âge, ses cheveux blancs scintillants sont peut-être signe qu'elle en est un finalement.


Je ferme la porte, mais cette fois, dans le calme. Mes yeux balayent l'intérieur du chalet, tellement vide et silencieux désormais. Cathy a laissé place au fantôme de sa présence, j'entends encore nos rires, alors qu'il n'y a personne, hormis le poids de cette solitude accablante. Mon quotidien solitaire à New-York n'est pas si différent, seulement, ici, je n'ai pas ma routine, mes habitudes, alors ce silence, je le ressens, dans son entièreté. Et putain ça m'insupporte, ça fait crier mes pensées trop fort, ça fait hurler le manque d'amour que ressent mon cœur, son rêve d'être caressé avec tendresse à nouveau. Wow ! On se calme dans le ciboulot.


J'accours dans ma valise et en sort un carnet avec mon stylo violet. Assise devant celle-ci, je note mes pensées, je couche toutes ces choses que j'assimile de ma personne. Quand les pensées fusent, l'écriture met de l'ordre, range chaque pensée à sa juste place. Parfois, certaines phrases ont moins de puissances une fois matérialisées sur le papier, puis d'autres, trouvent leur propre sens, amenant réflexion sur réflexion. L'écriture c'est la rencontre entre l'écrivain et ses propres mots, sa propre personne. Je pense profondément que l'on se découvre avec l'écriture, mais on se rassure en lisant celle des autres, en se retrouvant dans leurs mots une part de soi est consolée. Alors j'écris, encore et encore, jusqu'à vider mon esprit, jusqu'à m'en faire mal à la main.


*


L'odeur des lasagnes parfume l'intérieur de l'habitation. Après avoir passé des minutes ou bien des heures à gribouiller mon carnet, j'ai accouru sous une longue douche chaude et réconfortante, me nettoyant de toutes mes émotions, mes pensées, mes souvenirs. Puis une fois ma tenue de combat mise, jogging et tee-shirt large, j'ai commencé ma mission lasagne. Un verre de vin à la main, accompagné d'une playlist un peu hasardeuse qui m'a valu des pas de danse maladroits ainsi que mon chant totalement faux ! Dieu merci il n'y a pas de voisin ! Je m'amuse, sourire aux lèvres, comme une enfant, encore une fois. Vivante. 24h sont passées depuis mon arrivée, juste ces petites heures et j'ai l'impression de progressivement reprendre souffle. Ai-je été en apnée ? Vivre sans prendre conscience que je vivais ? Déconnectée ?


Je reviens à mon four, encore 14 minutes de cuisson. Soit. Je prends mon verre, mon téléphone et pose l'ensemble sur la table basse. En prenant ma position favorite sur le fauteuil j'aperçois la carte de Kyan coincée entre l'assise et l'accoudoir. J'ai sûrement dû l'enfoncer malgré moi lorsque je discutais avec Cathy. Je tire dessus et ouvre internet sur mon téléphone afin de visiter son site. Pas de télé mais une bonne connexion wifi. Se déconnecter mais pas trop ! Puis vu la longue to-do de boulot que j'ai ce mois-ci, heureusement ! Voyons voir ce que tu as à nous montrer mon cher Kyan !


La page se charge longuement, je m'impatiente, oh la curieuse ! Pourquoi s'intéresser autant à une aussi grosse tête de con ? Toujours est-il, son site devrait être revu, le délai de chargement donne envie de se tirer une balle. Déformation professionnelle ! J'ai longtemps été référente SEO dans une entreprise aujourd'hui je propose mes services en free-lance afin d'aider ceux qui se lancent. Je pourrais lui proposer mes services parce que ce mec ne doit rien y connaître.. oh.. non je rêve ! Il a créé le site début 2000 ou quoi ! Je glousse dans mon verre comme une pintade, le fond est vert, la structure ressemble aux premiers sites ouverts à l'époque, des gif s'agitent de part et d'autre. Je dois rire ou pleurer ? Je ne peux m'empêcher de zoomer sur la photo d'équipe sur laquelle aucun sourire n'est présent, wow, mais quelle surprise !


La sonnerie du four me fait sortir de mes recherches et il doit probablement bien contrôler ce qu'il partage car je n'ai rien trouvé à son sujet, hormis des informations de sociétés et ses coordonnés de contact. Nul. Pourtant je suis très douée pour trouver des données sur les gens. Chacun laisse des traces, c'est assez facile et j'aime parfois réaliser des petites enquêtes sur les gens que je rencontre. Merde je suis folle ! Mais non Ju. T'es.. t'es passionnée quoi !


Aïe.. merde.. Je manque de me brûler lorsque j'attrape le plat perdue dans mes pensées, je n'ai pas assez plié le torchon et la chaleur gagne ma main rapidement. Je pose ce dernier sur le plan de travail avant de passer ma main sous l'eau froide, mon pouce a mal vécu ce drame ! Je ne connais pas ce mec, et me voilà déjà perturbée par son image dans mon petit crâne. Pas de mec, non, non, pas de ça, on reste focus, il est .. méchant Julia ! Le sang s'est arrêté de pulsée à outrance dans mon doigt alors je me sèche les mains à l'aide du torchon avant d'aller en direction de la chambre. Il est temps de ranger ma valise en bordel en attendant de déguster mon goûtu plat pour le moment bien trop chaud.


Je monte le son de la musique lorsque ma playlist passe sur "One hundred times" de LaKesha Nugent et me trémousse en pliant mes fringues dans le tiroir de la commode. Des t-shirts, quelques pulls au cas ou, tenue de sport, jeans, chemisiers, une robe sait-on jamais, un date est vite arrivé ! Ça va je déconne ! J'ai d'autre chat à fouetter de toute manière. Je glisse la valise enfin vide sous le lit et file ranger mes affaires de toilettes dans l'étagère cachée derrière le miroir cette fois sur "The Reason" de Hoobastank. Wow cette musique est vieille non ? Pourtant je chante les paroles du refrain à plein poumon malgré les années sans l'écouter, c'est dingue la mémoire ! J'aurais préféré me souvenir de mes cours de comptabilité, bien plus utile.


Mes affaires enfin au carré, je m'allonge sur le lit en signe de récompense dans un long soupir. En position d'étoile, je savoure le moelleux confortable du matelas puis tout en fixant le plafond marron, je chantonne ma chanson du moment, celle qui me rassure "Save my soul" de Jonah Kagen.


"Save me, save my soul

Take me, take me home

Darling please don't go

Don't leave, I can't be alone"


J'ouvre les yeux en fronçant les sourcils, je me suis assoupie. La pendule accrochée au mur au-dessus de la commode affiche.. quoi il est... 21h!!!! Je me lève en m'étirant et faisant craquer quelques articulations au passage, la trentaine arrive, mes os me le rappellent, je vous l'ai dit.. l'ostéo ! Je coupe la musique qui a changé de mood en passant par l'artiste Two feet que j'adore, mais bien trop à côté de la plaque pour savourer dans l'instant. Il faudrait que je regarde s'il y a des concerts dans le coin, un folle envie de défi m'envahit. Je n'ai aucun mal à faire les choses seule, cependant les lieux où grouille la fouille me mettent mal à l'aise. Pourquoi pas tenter, ici !


C'est dans un calme paisible que j'attrape une assiette en bâillant si fort que les yeux se ferment. Mon ventre gargouille car avec toutes ces aventures je n'ai même pas pris de repas ce midi. Il s'est passé plus de choses en une journée ici, qu'en une année dans ma vie au cœur de la grosse pomme ! Je me marre toute seule en repensant à cette journée tout en me servant une part de mon festin. Je m'installe au salon prête à me sustenter, appréciant chaque bouchée même si ma mère les cuisinait d'une main de maître. Elle avait un je-ne-sais-quoi qui rendait tout meilleur, probablement l'amour, la joie qu'elle y mettait. Moi, j'ai la main maladroite de mon père ! Le bip de mon portable me sort de mes pensées.


Esthère : Aucune nouvelle ni story sur insta. C'est pas que je me fais du souci, mais un peu .. ! Préviens-moi si t'es toujours vivante. Bisous beauté :) (ici c'est la loose, ma voisine est partie dans le trou du cul du monde ! h e l p !)


Je manque de m'étouffer avec ma bouffée de lasagne, tout est une occasion pour dramatiser avec mon amie, nous ne sommes pas liées pour rien ! Je bénis cette rencontre car grâce à ses attentions, son inquiétude à mon égard, j'ai un tant soit peu l'impression de compter, un peu, pour quelqu'un.


Julia : Toujours vivante pourtant j'ai cru me faire attaquer par un ours, mais c'était juste la proprio ! Bois un verre de Chianti pour moi bébé ;)


Esthère : OU AS-TU POSÉ LA CAMERA ? Comment tu sais ?!!! Franchement, si j'avais été la propriétaire, je serais vexée de cette comparaison !


Julia : Mdrr ! Je te raconterai, je vais me coucher, demain j'ai pas de mal de taf et cette journée m'a flinguée. On s'appelle dans la semaine ?


Esthère : Dis-moi que c'est un mec qui t'a épuisé, coquine !! Appelle-moi quand tu peux. Bisouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuus tu manques !


Julia : Ferme là ! BISOUS !


Je rigole en posant mon téléphone, Esthère me court après depuis trop longtemps espérant que je trouve quelqu'un. Ce n'est pas faute d'essayer les applications de rencontre, des rendez-vous j'en ai eu quelque un, quand j'ai daigné me présenter. Parfois l'appréhension était trop immense. Oui j'ai annulé à la dernière minute, bouh vilaine, je l'avoue ! Ils devraient faire une appli pour les personnes qui n'ont pas les codes car parler de la météo et répondre aux "tu fais quoi dans la vie ?" m'a toujours emmerdée au plus haut point. Probablement trop fleur bleue finalement pour se satisfaire d'une rencontre programmée, d'une relation qui n'aura rien de naturel.


Puis, moi et mon acolyte, la maladresse, nous préférons éviter les rendez-vous galants, comme la fois ou j'ai renverser un verre de vin sur l'entrejambe du jeune homme, vin rouge évidemment, ou la fois ou un fou rire m'a pris en buvant, et bien celui-ci avait prit une douche gratoss. Ah oui puis les fois ou je trébuches, ou lorsque mon sac s'effondre au sol dispersant mes tampons au milieu du bar. Vous voyez, le stress, ça rend encore plus maladroit !


Je pose mon assiette vide dans l'évier puis accours me mettre au lit. Mon corps épuisé par toutes ces émotions a besoin de sommeil, d'autant plus qu'une journée de travail m'attend demain. Soit. Que le sommeil m'emmène tendrement au pays des rêves, loin des ours et des méchants garçons. quoi que..



 

5. LE PRIX DE LA CURIOSITE


J'observe le lever de soleil adossée à la chambranle de la porte d'entrée, tout en savourant la chaleur de mon café. Certains matins ont un gout d'éternité. Paisible. Je prends mon téléphone pour chercher des endroits où bosser car une longue journée m'attend. Plusieurs clients attendent mon retour et je ne tiens pas à cumuler du retard dans mes dossiers. Les cafés sont mes lieux fétiches pour travailler, certains préfèrent le calme et bien, je pense en avoir assez dans mon quotidien ! La vie d'autoentrepreneur a bien des points positifs, mais on s'enferme facilement alors c'est comme si je me rendais au travail, avec de vrais humains vous voyez !


ARGHHHHHHHH


Je tombe directement sur la page internet abandonnée la veille. Sa grosse tête là ! Je me retourne et balance mon téléphone sur le fauteuil mais ce dernier m'ayant glissé des mains, se retrouve.. au sol ! Je souffle en roulant des yeux et finis mon café d'une traite. Une fois la porte fermée avec toute ma douceur, si ce n'est, aucune, j'avance pour récupérer mon téléphone gisant sur le sol en chantonnant un air approximatif. Je retourne l'appareil afin de vérifier qu'il n'y a aucune cass.. einh.. appel en cours.. Je porte alors mon téléphone à l'oreille.


- A..Allo?


- Est-ce que tout va bien Madame ?


- Mais vous êtes qui ?


- C'est vous qui donnez l'appel, tout est ok ?


- Ah.. ah.. ah très drôle le canul..

Je réponds avec le peu de sarcasme en stock si tôt quand la voix grave de mon correspondant m'arrache le tympan.


- VOUS CROYEZ QUE J'AI QUE ÇA A FOUTRE ?!!!!!


- BAH VISIBLEMENT OUI!!!!!


Bip

Bip

Bip


L'appel prend fin et mon téléphone revient de lui-même sur .. putain ! Je m'assois lourdement sur le sol en me refaisant la scène. Moins d'une minute avant lorsque mon téléphone m'a glissé des mains, cette dernière a appuyé n'importe où et par mégarde, probablement sur le numéro de contact du site. Oh mon dieu mais quelle poisse. Je vérifie rapidement la correspondance entre les deux numéros. Similaire. C'était donc bien Kyan au bout de la ligne, tout aussi agréable en réalité qu'au téléphone, rien d'étonnant. Quelle bourde ! Je me relève subitement en direction de la douche afin d'arrêter cette scène tournant en boucle dans ma tête, remplie de "et si", de "peut-être". En vérifiant bien cette fois de fermer toutes les pages internet et que l'arme de mon angoisse actuelle soit bien verrouillée. Puis, comment pourrait-il savoir qui était derrière cet appel.


Est-ce qu'un jour ma vie cessera d'être un champ de maladresses ?! Parce que je cultive fort ces temps-ci !


*


TING


La sonnette retentit lorsque je passe l'entrée de la boulangerie visitée la veille, priant tous les saints pour ne pas croiser l'homme à l'origine de ma gêne. Cependant, c'est bien le seul lieu pouvant me laisser travaillé en paix, le bar de la ville n'ayant pas de prises accessibles. Priez donc avec moi !


Je salue Nicole en lui commandant un café et un croissant. Elle m'indique une place dans l'angle de la petite boulangerie afin de brancher mon ordi et ne pas être envahie par les miettes de mon voisin de table. Je m'installe alors comme une spectatrice des passages du lieu en sortant ma clé wifi et mon ordinateur portable. Nicole m'apporte mon gasoil et la journée peut alors commencer. Je place mes AirPods et lance le dernier album de "Mr Tout Le Monde".


Le temps défile, je pianote sur mon clavier en hochant la tête au rythme de la musique. Une fois ma tâche achevée, je m'étire les bras en levant les yeux de mon écran. Oh merde. Mon sourire satisfait s'éteint soudainement devant.. le sien. Kyan se tient assis, le bras posé de manière nonchalante sur le dossier du tabouret, tourné pile face à moi. Les secondes s'étirent et je feins la provocation en m'enfonçant dans la chaise tout en croisant les bras sur ma poitrine, le sourcil relevé. Garde la tête haute Ju, gar... Un rictus gagne le côté de ses lèvres, putain de sourire diabolique, puis il plante ses dents dans sa lèvre inférieure comme pour réprimer un quelque chose pas très joli à dire. Tout en baissant son regard, il se lève de son siège réduisant à chaque pas l'espace entre nous. Espace réduit, de plus en plus. Encore. Ma respiration s'accélère ou bien s'arrête, je ne sais plus, ses mains se posent sur ma table, le buste penché pénétrant mon espace vital ainsi que mon regard de ses iris sombres.


- Julia Cantini, on t'as déjà dit que t'étais mignonne quand tu chantonnes ? Un peu moins quand ça provient d'un appel qui m'emmerde avant 8h du matin.

Merde. Merde. Merde. Il a fait des recherches le con. Je peine à déglutir, mais décide de ne rien laisser paraitre.


- Kyan Lopez. Au moins les présentations sont faites.


- Ohhhhh Julia.. Julia.. n'essaies de pas de rugir comme un lion, tu as le regard d'un chaton prit dans un grillage.


- Le chaton t'emmerde.

Mon regard vire au sombre et ma voix devint cinglante, ce qui vaut le retour de son fichu rictus de l'enfer.


- Bébé n'a pas pris son Xanax aujourd'hui ?

Kyan me répond en faisant la moue, sa voix n'est qu'un murmure condescendant que j'ignore en rangeant mes affaires.


Mais ce goujat s'avance plus proche et par pure provocation, je me redresse en posant mes coudes sur la table, le menton sur les mains tenant mes iris dans les siens. Ses lèvres s'ouvrent mais aucun mot n'en sort. Ses yeux glissent sur les miennes durant ce qui me semble, une éternité, encore. Sa bouche se ferme aussitôt en remontant son regard vers le mien, tenant cette lueur inexplicable, les sourcils froncés tourmentés d'un je-ne-sais-quoi. L'air est devenu électrique, lourd, chaud, à tel point que j'en ai oublié de respirer. Kyan se relève et en l'espace de quelques secondes, récupère ses affaires et passe la porte. Me laissant là, bouche bée, devant cette scène que je ne saurais expliquer. Je m'affale dans le siège en passant la main dans mes cheveux. C'était quoi ça.


*


- Si proche de ton visage ?? Dis-moi qu'il avait au moins bonne haleine Ju!!

J'entends mon amie se décomposer à travers le téléphone, il fallait que j'extériorise cet épisode alors me voilà dans un parc assise sur ce banc, racontant à Esthère ma péripétie matinale. Je l'entends taper sur son clavier, probablement son nom.. nous avons les amis que l'on mérite !


- Bon voyoooo... oooooooooh ! C'est lequel ?


- Le plus grand.


- Je vois que tu connais cette photo par cœur, dis-moi tu l'as regarde le soir, hum ?


- ESTHERE!!!!!!!!!!!!!

Elle éclate de rire, ce qui me vaut un sourire. Elle n'avait pas tord, j'ai tellement scruté cette photo que je la connais dans les moindres détails.


- Écoute Ju, visiblement c'est un joueur et t'es en vacance, alors, amuse-toi et reviens avec une histoire si folle que ça ferait un roman à succès ! Mais si tu sens que ça devient insécure, arrête la partie.


- Oais.. ben.. que la partie commence c h a t o n !


- Merde il va prendre cher et fais le tomber ce gros matou !


Nous rigolons en réfléchissant à des plans tous aussi farfelus les uns que les autres. Finalement elle n'avait pas tord, pourquoi pas s'amuser un peu. Durant l'heure suivante, nous échangeons boulot, quotidien, elle me raconte ses dernières folies et je lui parle des paysages sublimes avant de raccrocher et se promettre de la ternir au courant du moindre mouvement.


Avant de rentrer je m'arrête à la superette prendre du café, le ciel tournant au vinaigre, je ne me fais pas prier et dévale les rayons à la recherche de mon très cher carburant. Un bruyant coup de tonnerre hurle très proche, ce qui me vaut un sursaut devant le jeune caissier. Il m'indique une salle à deux pas pour me réfugier le temps de l'orage. Dieu merci mon sac est imperméable. J'y range mon café ainsi que mon sandwich et vérifie que mon petit bagage soit bien fermé, mon matériel bien trop sacré pour l'abimer.


Dehors la pluie est fine mais pas moins présente. La noirceur du ciel annonce quelque chose de lourd et tenace. Tiens ça me rappelle quelqu'un! Je rejoins la fameuse salle attenante à la mairie, probablement installée par habitude car d'après les dires de Cathy, les intempéries sont nombreuses à ce mois de l'année. Je passe la porte, les cheveux trempés, mon chemisier collé à ma chair. Quelques personnes sont assises de part et d'autre de la salle moyennement grande, alors je pose mes affaires et me place devant la grande baie vitrée. J'observe ces gouttes s'effondrer sur le sol, j'écoute leur douce mélodie avec un sourire mélancolique sur mon visage. Mais la faim prend vite le pas alors je m'assieds sur une sorte d'estrade face à ce spectacle, et déguste mon festin.


- Mademoiselle Cantini comme on se retrouve !

Je n'eu besoin de me retourner pour savoir à qui j'avais affaire. Kyan. 48h. Deux petits jours et ce mec me donne déjà des envies de meurtres. Je l'ignore, finissant le dernier morceau de mon sandwich en fixant droit devant moi. Très vite je sens sa présence se glisser proche de moi. Trop proche. Putain, mais c'est quoi son problème. Je le regarde avec dédain, avant de replonger le regard dans le temps orageux.


- Une femme arrive et ça y est, ça te démange ? Lâche-moi tu veux.

Je l'entends pouffer de rire, ce qui me fait tourner la tête. Ca rigole ce genre d'individu ? Un sourire de l'enfer, oui, celui qui vous hypnotise.


- C'est moi qui est mis cet espace en place, alors ma gueule tu vas te la farcir encore un peu. Ne te fais pas d'illusion tu veux.

Kyan me répond sèchement, laissant la douce mélodie de son rire s'envoler dans les air. Oups. Touché en plein égo ! Mais il continue son monologue.

- J'ai lu un article qui parlait d'un cambriolage, à Napa, ton nom y figure. Hum. Dur.


Mon sang se glace et mon regard s'écarquille sous ses mots lâchés sans aucune émotion, comme une mauvaise taquinerie. Ma rage se répand dans tout mon être, la douleur des souvenirs qui reviennent. Rouge. La sensation d'un couteau planté en plein dans mon cœur. Encore. Est-ce qu'il en a un, lui, de cœur ?


Ce n'est plus une partie, mais une guerre désormais. Et, Kyan, tu es déjà mort.




 

6. ROUGE SANG [ Flashback ]


Napa, trois ans plus tôt


8h20


La sonnerie me sort d'un lourd sommeil, cette mélodie de l'enfer m'annonce une longue journée sans fin. Une notification apparait lorsque j'éteins le réveil, un énième mail de ma boss m'annonçant probablement des tâches supplémentaires, comme d'habitude. Fais chier. Il est peu probable que je puisse rendre visite à mes parents comme prévu. Même s'ils savent que je croule sous le travail, cela fait plus d'une semaine que je ne m'y suis pas rendue et la trombine de mon petit monstre de frère commence à manquer à mon cœur. Généralement, je leur rends visite une fois par semaine après ma journée de travail, puis souvent je reste dîner lorsque je sens la bonne odeur des plats de ma mère.


J'ai toujours été proche de mes parents, leur écoute sans faille est largement appréciable. Ils sont dotés d'une ouverture d'esprit assez rare pour leur génération, surtout mon père. Soit. Ils forment ce couple tendre qui donne la gerbe, vous voyez, et pourtant, ils ont dû faire face à bon nombre d'obstacles. Comme quoi, avec un peu de communication saupoudrée d'amour, on peut évoluer ensemble durant des années, pour toujours. Je me demande si nous arriverions un jour à ce stade avec Matt. Bref, je chasse cette pensée parasite.


Je glisse lentement hors de mes draps en attrapant un chouchou sur la table de nuit, puis regroupe mes cheveux en un chignon très.. très flou ! Peu importe, aujourd'hui je suis en télétravail comme chaque jeudi. J'allume la machine à café en trainant des pieds, mon bâillement manque de me décrocher la mâchoire. Pourquoi faut-il travailler bordel. Une fois mon mug rempli de mon liquide matinal favori, je me place à 8h30 pétante devant mon ordinateur que j'ouvre non sans être bougon. La tête dans le pâté, mais ponctuelle.


17h


Journée normalement finie. Mon cul. Les appels et les tâches s'enchaînent, en vain, cette fichue to-do ne cesse d'augmenter au point que j'en ai oublié de manger. Ni une ni deux, je quitte mon écran pour prendre un reste de pâtes dans mon frigo, puis retourne m'asseoir en tailleur devant le vlog d'une influenceuse appréciée. J'adore faire ça, sortir de ma vie pour visiter celle de quelqu'un d'autre. Si j'étais plus couillue, j'oserais faire ce genre de choses, mais nous savons à quel point internet est méchant voir intransigeant la plupart du temps. Alors, je me contente d'être la viewer qui encourage et voyage à travers leurs images.


22h


Ma journée s'est tellement décalée que tout est déréglé. Je m'avance sous la douche laissant couler l'eau chaude sur ma peau. Je ferme les yeux et laisse aller le stress accumulé. Merde ! Je n'ai même pas pensé à écrire à mes parents pour les prévenir de ma non-présence. Aucune nouvelle de leur part, ce qui est bizarre les connaissant. Nous nous voyons demain soir avec mon père, pour notre petit repas mensuel, certainement la raison de ce silence. Oh mais merde je n'ai pas fait les courses ! Ma pensée s'anéantit lorsque je glisse en me rattrapant de justesse à la porte de ma douche. Il me faut des vacances, cette cadence est en train de me tuer !


J'enfile un large t-shirt et glisse dans mes draps. Bon sang, ce moment où l'on retrouve son lit est d'un réconfort sans nom ! Je prends ma liseuse et continue ma lecture du moment, une dark romance dont tout le monde parle et je dois avouer que l'ambiance sombre me plait plus que de raison ! La lecture me donne ces émotions, celles que je n'ai pas dans la réalité de mon quotidien. Cette sensation de vivre plusieurs vies, découvrir, ressentir. Suis-je vraiment heureuse pour avoir ce besoin de fuir mon existence ? Ju tu délires, lis et ferme la !


*


Le lendemain


16h


Journée finie et avec une heure d'avance, je sors du bâtiment et rejoins ma voiture. J'ai tout donné pour partir plus tôt, ce qui me laisse amplement le temps de faire les courses, prendre une douche et préparer avant que mon père n'arrive. Pas de folie ce soir, le courage me manque pour cuisiner alors sera planche de fromage et charcuterie italienne. Ma seule mission sera de faire dorer le pain en évitant de mettre le feu à mon logement cette fois. Oui, j'ai un traumatisme avec mon ancien grille-pain, ne me jugez pas, d'autant plus que je n'arrivais pas à arrêter cette fichue alarme incendie ! Mon attention avait dévié au moment de choisir la puissance et disons que c'était cuit plus qu'à point !


17h


Toujours aucune nouvelle malgré le pauvre SMS envoyé à ma pause déjeunée. Bizarre. Après avoir posé les courses sur le siège passager, je renvoie un message et essaie d'appeler mes parents.


Appel Maman, messagerie.

Appel Papa, messagerie.

Appel Fix, messagerie.


Ils ont fugués ou quoi.


19h


J'enfile un legging et un t-shirt XL que Matt a probablement oublié à l'appart. C'est très pratique d'avoir un petit ami plus grand et costaud ! Je ne compte plus le nombre de t-shirts et de sweats que j'ai fini par lui voler ! Voilà deux ans que nous sommes ensemble, cependant chacun préfère garder son appartement, afin d'éviter la routine en nous voyant lorsque le manque se fait ressentir. Sauf que ces temps-ci, avec la charge de travail, nous avons moins de temps. Parfois je me demande s'il me manque réellement.


Nous nous sommes rencontrés pendant nos études quelques années auparavant, où nous étions de très bons amis. Puis, lors d'une soirée, tout a dérapé. Dérapage agréable certes ! Mais sans réellement réfléchir, nous avons plongé dans une relation, disons, malgré nous. J'en viens à m'interroger sur notre réelle compatibilité. Je veux dire, Matt est un gentil, mais nos échanges manquent de profondeur, je crois avoir besoin de plus. Plus de communications, plus de gestes tendres. Je ressens cette carence en tendresse qui me brise le cœur depuis trop longtemps déjà. Adèle, ma meilleure amie depuis l'enfance, m'assure que tout est normal, elle aussi éprouve ce sentiment avec Loïc, son cher et tendre. Soit. J'en parlerais une énième fois avec mon père ce soir, avoir son avis m'a toujours permis d'y voir plus clair.


Soudain, une douceur lointaine me revient en mémoire, mon premier amour. Il était atypique et mes proches le détestaient pour cette raison. Noah. Une allure ténébreuse, mais un cœur d'une rare délicatesse. Ce grand brun a bien fait valser le mien jusqu'au jour où ce dernier a disparu des radars, sans un mot. La vérité éclata des années plus tard, le jour où ma relation s'est officialisée avec Matt. Ma mère a alors avoué une discussion partagée avec mon amoureux de l'époque, le prévenant de s'éloigner avant d'y mêler les flics. Car à Napa, tout le monde savait qu'il baignait dans quelques affaires peu claires. Sa vie solitaire, très tôt livré à lui-même dans les mauvais quartiers avait eu raison de lui. Comment vous dire que ma relation avec ma génitrice s'est légèrement dégradée après cet aveu.


Noah, je me demande ce qu'il devient. Malgré cette blessure d'abandon, je lui porte toujours cette affection pour l'année folle qu'il m'a fait vivre. Je me sentais, vivante, terriblement vivante. Il adorait ce que les autres détestaient, la nuit, l'ombre, l'orage, le noir. Combien de fois cet abruti m'a fait danser sous la pluie lorsque j'étais triste, finissant par m'arracher un rire. Il répétait que la pluie caressait les larmes et réanimait les âmes. Depuis c'est devenu mon petit plaisir, me rappelant à quel point je peux me sentir vivante, encore. Chaque rencontre que nous faisons reste en soi, pour toujours, jamais je n'oublierai ce qu'il m'a fait ressentir, la façon dont il m'a fait me sentir. Je l'ai longtemps cherché dans ces autres, en vain, puis ce besoin s'en est allé.


Je sors de mes pensées en rangeant mon ordinateur encore ouvert sur la table. Finir plus tôt, mais prendre du temps perso pour avancer sa journée du lendemain. Logique. Tout est fin prêt, mais mon cher géniteur manque à l'appel dans tous les sens du terme. Lors de ma dernière discussion avec ma mère, celle-ci m'indiquait un rendez-vous important cette semaine, mon père croulait donc également sous son business. Cette pensée censée me rassurer, n'apaise pas le moins du monde mon mauvais pressentiment. La ponctualité de mon père se traduit par une demi-heure d'avance. Il devrait déjà être là.


19h10


Aucun appel manqué, aucune réponse. Mon cœur frappe contre ma poitrine. Et si. Me voilà à faire les cent pas dans l'appartement. Si je pars et qu'il arrive, nous serions simplement deux cons, mais si un malheur est arrivé.. Putain fais chier. J'accours dans ma chambre récupérer mon sac bandoulière avec mes papiers et chope mes clés de voiture sur le bol dans l'entrée. La porte se claque bruyamment derrière moi. Pas le temps de fermer, pas le temps de trainer. Je dévale les escaliers et monte dans ma voiture avec une rapidité gagnée par l'adrénaline. La maison parentale est à une dizaine de minutes de voiture. Mon pied écrase l'accélérateur, aujourd'hui on fera moitié de temps. Quelque chose ne tourne pas rond. Je passe par les chemins peu fréquentés en abusant de la vitesse. Chose que j'adore habituellement, mais cette fois, je ne prends pas le temps de savourer ce moment, les mains serrées autour du volant, la mâchoire crispée.


19h15


Je prends l'allée de leur maison perdue au milieu des vignes, et gare mon véhicule devant la terrasse que je monte à grande enjambée. Aucun bruit. Rien. Je toque, mais personne ne répond. Un silence assourdissant réside ici. J'enclenche la poignée et la porte s'ouvre. Puis, mon cœur rate un battement, mes yeux s'écarquillent, ma respiration se coupe lorsque j'atterris devant la scène au pied du salon.


Rouge.

Rouge. Partout. Rouge.

Tétanisée. Rouge.


Je crois vouloir crier, mais rien ne se passe. Je crois vouloir bouger, mais mon corps ne réagit pas. Spectatrice de ce chaos sans pouvoir agir. Mes yeux bloqués sur le sang gisant sur le sol proche des corps de ceux que j'aime, de ceux pour qui j'aurai vendu mon âme au diable, de ceux pour qui mon cœur vient de cesser de battre. Dans une lenteur que je ne me connais pas, j'attrape mon téléphone afin d'appeler les secours. C'est quel numéro déjà.


Une voix féminine prend l'appel et quelques mots sortent de ma bouche, l'adresse de mes parents, rouge, sang, morts. Ce dernier mot provocant mes larmes pendant qu'un long frisson me parcourt l'échine. La froideur de la mort. J'avance vers ces corps qui ne sont que des enveloppes désormais, et tente en vain de prendre le pouls de chacun malgré la teinte violette de leurs lèvres. Un espoir mort avant de naitre. Mes mains tachées de la seule chose qui nous lie désormais. Le sang. Je ferme les paupières de ma mère encore ouvertes, probablement choquée par l'enfer qu'elle a dû vivre durant ses dernières secondes. Est-ce qu'ils ont souffert ? Et si. Je reste là, accroupie au milieu de ce chaos. Au milieu de ce restant de famille.


Le bruit des sirènes s'approche puis tout se passe au ralenti. Je n'entends rien. Je vois seulement des bouches articuler des choses incompréhensibles et je reste là, à me demander "et si", devant le visage angélique de mon petit frère désormais sans vie. Et si.


Je me sens voler dans les airs, mais ce ne sont que des bras me retirant de cette scène brutale, violente, celle qui m'anéantit. C'est à ce moment que je réalise à quel point la maison est sens dessus dessous. Et si j'étais arrivée plus tôt ? Et si j'étais venue hier ? Je vois des brancards, je vois des sacs mortuaires, je vois des gyrophares, je vois flou derrière mes larmes que je ne contrôle pas. On m'assoit dans l'ambulance où une lumière m'agresse la rétine, mais je ne peux bouger. Je revois ces images, ces visages derrière mon regard à présent vide.


Et si.


*


1 semaine plus tard


Les interrogatoires ont cessé, mes rendez-vous médicaux également. Maintenant, tout repose dans les mains de la police. Ils pensent à un cambriolage qui aurait mal tourné. Et si. Plusieurs habitants se sont vu être volés depuis ce début d'année, mais aucun acte de violence n’avait jusqu'alors été déclaré. Et moi, j'ai hâte que les enfoirés à l'origine de ma perte récoltent ce qu'ils méritent. La mort.


Matthew s'est installé à l'appartement afin de ne pas me laisser seule, mais finalement, sa présence ne change pas grand chose à ce vide intérieur. Soit il est au travail, soit devant sa console, et moi, je suis le fantôme. Ce fantôme qui n'arrête pas de se sentir coupable, ce fantôme que personne ne regarde. Ses gestes tendres se font rares, et je passe mon temps à m'excuser de mon état. C'est d'ailleurs la seule chose que j'arrive à prononcer correctement depuis le drame. Je suis désolée.


Je le sentais putain, je le sentais. Je me doutais que le silence de mes parents était anormal. Le plus difficile a été d'encaisser l'heure du décès. La veille, aux alentours de 21h. Et si ma journée s’était terminée à l'heure comme prévu, et si j'avais rendu visite à mes parents comme c'était censé se passer. Égoïste. Mon cœur se serre à nouveau devant mes pensées qui tournent en boucle depuis ces derniers jours. Pendant que j'étais chez moi, eux, étaient à l'agonie.


L'enterrement s'est tenu hier, bon nombre de proches étaient présents, chacun profondément endeuillé. Certains ont tenu à dire quelques mots, ce qui renforce l'image de cette famille aimante et du merveilleux couple que formaient mes parents. Pourquoi l'univers arrache la vie aux âmes les plus tendres ? Mon frère, mon petit monstre d'Eliot, bien trop jeune pour rompre avec l'existence. Et si. Toujours ce putain de "et si".


Matt était présent, essayant de me rassurer comme il le pouvait, maladroitement. Je vous laisse devinez le programme de ce soir-là, fixer le plafond pendant que monsieur sortait avec ses amis, sans se préoccuper de mon état. Loin de moi l'idée d'obtenir une attention absolue ni même d'être sauvée. J'espérais simplement laisser mes larmes s'échapper dans les bras de quelqu'un. Mais, personne ne m'entend hurler de l'intérieur, tous se satisfont de ce sourire contraint sur mon visage.


Alors, j'ai ravalé mes larmes, ce jour, et pour toujours.


*


1 mois plus tard


- Je pars Julia, je ne peux plus.. fin.. je.. tu sais..


- Dégage.


- Mais tu compre....


- DE GA GE ! DEHOOOOOORS


Matt passe la porte en me rendant mon double de clé, la moue désolée. Seulement ça. Je claque cette dernière et glisse mon corps le long du bois gelé, je n'arrive plus à respirer. Angoisse. Julia la dépressive que personne ne peut plus s'encadrer. Mes amis se sont eux aussi éloignés. Si les présences et les appels se sont multipliés dans les trois premiers jours, le silence radio s'en est rapidement suivi. Comme si mon deuil s'était amoindri au fil des heures, foutaise. Ces images me hantent le jour comme la nuit, chaque seconde de ma putain de vie. Je revois ce rouge sans cesse, les yeux de ma mère, l'étendue des dégâts. Je me demande si j'aurai pu changer les choses. Ça me ronge et personne ne veut le voir. Je me dis que la solitude me réparera peut-être. Puis, je n'ai plus besoin de fuir, puisqu'ils l'ont tous fait pour moi.


Pourquoi personne ne reste, pourquoi je perds tout ce que je pensais être présent pour toujours.


*


6 mois plus tard


Des bouteilles vides m'entourent sur le sol de mon salon. J'ai dû m'assoupir et je ne sais plus quel jour nous sommes ni quelle heure il est. J'ai quitté mon boulot, ou plutôt, ils m'ont virée. J'ai tout perdu et je ne sais pas ce que je suis censée trouver désormais. J'essaie de mettre la main sur mon téléphone dans le bordel de mon appartement. Appareil que je ne prends même plus la peine de consulter, car le tintement des messages se fait bien trop rare.


L'écran affiche 16h28 et quelques notifications inutiles. Puis, perdu au milieu d'entre elles, un message de mon oncle m'informant des dernières formalités d'entreprises. Le vignoble a été récupéré par ce dernier, car étant dans la sphère viticole, il connait le milieu sous tous ses aspects. Je garde quand même une part et à tout moment je peux décider de gérer totalement l'affaire. Mais vous vous doutez bien que c'est loin d'être dans mes projets. Je me demande comment il fait, pour gérer tout d'une main de maitre, n'a-t-il pas de chagrin ? Comment font-ils ces autres pour ne pas être submergés ?


Nous ne sommes pas vraiment proches alors nos échanges restent, disons, formels. Ma famille était réduite à mes parents et mon frère. Pour le reste, des histoires à dormir debout avaient fichu en l'air ces liens fragiles. Tous étaient bien évidemment présents à l'enterrement, chacun ressentait sa peine en ce jour particulier où toute animosité avait disparu.


Deux choses (ré)unissent réellement les gens, l'amour, et la mort.


*


11 mois plus tard


Je me réveille en sursaut d'un énième cauchemar. Je tends la main afin d'atteindre ma boite de somnifère. Vide. Merde. Je m'assois au bord du lit, prenant mon visage entre mes mains. 7h30. Une éternité que je ne me suis pas levée aussi tôt. Alors, une fois debout, j'allume la cafetière au passage, comme si tout revenait à sa place, comme avant. Quelle blague. Je l'éteins et me sers un verre de whisky en appelant le médecin de famille, mais tombe sur sa messagerie.


- Bonjour Dr Grimald, c'est Julia Contini, je vous appelle pour.. pour renouveler mon ordonnance. Je sais que vous aviez dit que c'était la dernière fois, mais je .. je n'arrive toujours pas à dormir, vous savez, les cauchemars.. je.. j'attends votre retour. Bonne journée Docteur.

Je raccroche et finis mon verre cul sec en serrant les dents. Ma vie n'est qu'un vide. Vide de sens. Vide d'envie. Sans vie. Putain c'est quoi cette odeur, Ju faudrait prendre une douche.


Je retire le large t-shirt qui m'habille depuis des jours en allant dans ma salle de bain. Une fois la porte de la douche passée, je laisse l'eau bouillante couler de mes cheveux à mes pieds. J'expire, essayant de vider mon stock de larmes, mais rien ne vient. Le mois prochain, cela fera un an. Une année si longue et pourtant impalpable. Tout ce que je souhaite, c'est de ne pas être dans les parages lorsqu'arrivera ce jour.


Et si on .. on .. déménageait. Partir pour de bon. Pour toujours. Loin de ces souvenirs. Loin de ces regards de pitié à mon égard. Qu'ai-je donc à perdre de toute manière ! L'héritage reçu de mes parents est assez conséquent, j'en ai placé une partie, mais si j'en tire un peu, je n'aurai pas à me soucier de l'aspect financier. Mais est-ce que j'en suis capable ?


J'entends les basses taper chez la voisine du dessus. Encore. Je ne peux plus me la voir, cette dernière est arrivée depuis peu et fait vivre un enfer à tout l'immeuble. Entre musique et chant, l'atmosphère paisible est devenue un putain de cirque. Ce qui, croyez-moi, m'a fait lâcher plus d'une fois des hurlements afin de l'encourager à fermer sa gueule. Aujourd'hui, nous avons le droit à du Alicia Keys - New York.


New York.. NEW YOOORK ???? New York !!!!


Je sors de la douche comme une folle, enfilant mon peignoir tout en me dirigeant vers le salon où je me place devant mon ordinateur. Et si je venais de trouver un truc auquel m'accrocher. Je passe donc le restant de la journée à chercher un appartement au cœur de la grosse pomme en sirotant mon liquide désormais ambré dans mon mug à café. Puis, l'idée d'un road trip me vient également puisque je devrais me coltiner la route en voiture, autant découvrir les paysages en chemin. Cette rêverie d'aventure allume un minuscule feu à l'intérieur de mon âme.


Puis, vient le moment de sombrer dans un sommeil alcoolisé.


*


12 mois plus tard


- Veuillez signer ici s'il vous plait, vos cartons sont au complet dans l'entrée! Bienvenue à New York, Mademoiselle Contini.


Le coursier me tend son stylo avec un sourire accueillant. J'ai fait expédier le reste de mes affaires par voie postale, tout ne rentrait pas dans ma petite citadine. Vêtement, papier, et objets de valeurs, car pour le mobilier, tout reste dans mon appartement à Napa que je sous-loue pour le moment. Je ne tiens pas à perdre mon cocon, je me dis que, peut-être un jour, j'aurai le courage d'y retourner.


Je le remercie et ferme la porte après lui. Ça y est. Tout est ici. Cela fait une semaine que je suis arrivée, après des jours à trainer sur la route et découvrir de nouveaux paysages. L'impression de reprendre souffle, juste un peu. Cette ville est mille fois trop grande pour moi, mais voyons ou ça nous mène.


J'observe le chantier que je suis en train de bâtir, mon propre nouveau départ. L'appartement n'est pas très grand, mais amplement suffisant pour une seule personne. Bon, la décoration est à revoir, les murs sont tapissés d'un marron très ancien, les tableaux sont.. effrayants puis les meubles datent des années 80! J'ai le projet de faire quelques achats afin de rentre plus doux ce nouveau chez moi. Avec quelques coups de peinture, des housses, des rideaux, en ajoutant des objets de décorations modernes, cela donnera vite une nouvelle énergie à ce lieu.


Qui dit nouveau départ dit nouvelles habitudes, alors, je n'ai pas touché une goutte d'alcool depuis mon arrivée. Pourtant, l'envie de me noyer dans des litres de whisky à en oublier mon nom est présente, comme celle de retrouver mes somnifères afin de taire ces fichues images, ces émotions. Les cauchemars terrifiants sont de retour lorsque je ne fais pas de nuits blanches. Les crises d'angoisses se sont également intensifiées. Tout ça est une phase, je le sais. Peut-être me faut-il consulter un thérapeute, car il n'y a pas de honte à se faire aider, c'est ce que je rabâchais à mes proches. Alors, peut-être est-il temps d'écouter mes propres conseils, en allant à la rencontre de mes démons. Démons qui fêteront leur anniversaire demain. Un an.


Un an, et j'ai décidé que c'était un bon jour pour enfin reprendre ma revanche sur cette putain d'existence.


*


Le lendemain : anniversaire rouge


8h


J'enfile ma nouvelle tenue laissant de côté mes vieilles fringues, car qui dit revanche, dit nouveau look. Un pantalon de costume marron foncé avec un chemiser crème laissant apparaitre mon soutient gorge en dentelle m'habillent désormais. Je lisse mes cheveux teintés de noir et termine mon maquillage avec un rouge à lèvres carmin. La Julia solaire est désormais la Julia des enfers. Mes talons claquent sur le sol de l'appartement lorsque je jette mon mug dans l'évier avant de partir bosser dans un coffee shop. Ce dernier est réputé puis se trouve à seulement un quart d'heure de voiture.


Aujourd'hui, je dois finir mon site internet et prospecter, j'ai décidé de reprendre le boulot mais à mon compte cette fois. Mission, trouver des clients et oublier cette putain de date à la con. Peut-être que j'aurais dû retourner à Napa, sur la tombe de ma famille en ce jour, et s... Ta gueule Julia !


Une demi-heure plus tard, je passe la porte du café. L'espace est immense, des tables hautes, des canapés, des tables rondes, purée il y en a pour tous les goûts ! J'observe les lieux en avançant vers le barista qui me dévisage. Alors, je le fixe en retour, le sourcil arqué avant qu'il finisse par baisser le regard, gêné. Gagnée. Je me trouve une assurance limite hautaine dont je n'avais pas connaissance, comme si mon envie de détruire le monde se reflété désormais dans mon attitude. Rien à perdre. Alors, une fois mon café commandé, je passe ma langue sur ma lèvre inférieure en posant mes avant-bras sur le comptoir, fixant le jeune homme se trouvant derrière. Ce dernier me regarde à son tour et j'observe une lueur malicieuse dans ses iris avant qu'il ne se retourne pour préparer ma boisson. Jouons. Je prends un bout de papier ainsi qu'un stylo qui me glisse des mains. Oh putain! Je manque de tomber à la renverse en me baissant sur mes talons. Je me relève en balayant la mèche devant mon visage, puis note mon numéro. Je fais glisser ce dernier avec un sourire en coin en sa direction lorsqu'il dépose ma boisson, que je saisis en tournant les talons.


Putain de merde ! C'est la première fois que je fais ça, je sens une sorte d'adrénaline parcourir mon corps. Qu'est-ce qui me prend ! Je dois avouer que c'est drôle finalement.


Rien à perdre.


15h


Derrière mon volant j'aperçois ma voisine .. un pied dans le plâtre avec une béquille et un .. sac de course.. qui fait ça ! Je pouffe de rire et donne un coup de klaxonne afin de la prévenir de ma présence et proposer mon aide. Mais cette dernière manque de trébucher sous la surprise ! Merde.


- Putain je voulais pas te faire peur, je rentre, monte si tu veux je te ramène!

Je lui dis en me penchant sur le siège passager.


- Oh oui je veux bien. Merci beaucoup!


Esthère est une voisine à qui j'ai dit bonjour deux ou trois fois lorsque j'étais bien lunée. On s'échange un sourire, mais je la vois m'observer du coin de l'œil.


- Dis t'as changé de look depuis ton arrivée non ? Ça te va bien cette vibe.. dark girlboss !

Dit-elle en claquant des doigts.


- Oais, j'avais besoin de .. de changement à tout niveau. Merci.. euh.. tu t'appelles ?


- J'ai vécu la même chose en arrivant ici, puis on se lasse du noir à un moment! Je m'appelle Esthère et toi Julia c'est ça ? J'avoue avoir regardé ton nom sur la boite au lettre, alala ma curiosité me tuera !


Elle me regarde avec un immense sourire, ses cheveux sont blonds comme les blés, elle dégage une douceur si forte que j'ai du mal à l'imaginer dans cette phase sombre. Comme quoi, on ne connait jamais vraiment l'ampleur de l'enfer des autres. Je lui rends un sourire maladroit. Putain comment on sociabilise déjà.


- Si tu.. fin.. si t'as besoin d'aide pour tes courses, n’hésite pas.


- Franchement c'est pas de refus !


Me répond Esthère en expirant comme soulagé d'un immense poids, ce qui me fait sourire, pour de vrai cette fois.


Nous arrivons dans l'ascenseur de l'immeuble, où pour me remercier, Esthère me propose de prendre le café chez elle. Alors, j'accepte malgré moi, sans réellement réfléchir. Puis en moins d'une minute me voilà chez elle, à bavarder de tout de rien, un café dans une main, un de ses biscuits dans l'autre, franchement dégueulasses, mais j'attendrais avant de lui avouer.


J'admets que sa présence est agréable, en revanche, faire rentrer quelqu'un dans mon cercle à la date ou j'ai tout perdu, l'univers détient son propre sens de l'humour. Mais, il vient aussi de réchauffer mon cœur.


Finalement, New York, c'est peut-être pas si mal.




 

7. PREMIER ET DERNIER AMOUR


Woodstock, aujourd'hui


Julia


Je déambule dans les rues de Woodstock, celles que je n'ai pas encore explorées. Tel un labyrinthe je passe et repasse parfois par les mêmes endroits. La musique dans mes oreilles, je hoche la tête au rythme de celle-ci et chantonne en un silencieux murmure. J'atterris pour la quatrième fois devant un bar. Soit. Je prends ça comme un signe de l'univers alors, je m'y arrête prendre un café.


Je m'installe sur la terrasse de ce dernier, et réalise qu'il se trouve à quelques pas de la salle où je m'étais réfugiée il y a deux semaines maintenant, jour de mon altercation avec Kyan. J'avais pris la fuite vitesse grand V sous la pluie, puis les quatre murs du chalet m'ont enveloppée durant des jours. Complètement déconnecté de la réalité, tentant en vain d'anesthésier cette peine, en vain. Cet abruti n'a aucune idée de la douleur qu'il a réveillée. Peut-être a-t-il fait exprès.. Dans quel but ? Je chasse ces idées lorsque mon téléphone bip dans mon sac banane. Je me demande comment quelqu'un a eu l'idée de créer un sac.. en forme de bana... Oh putain de merde. 


La notification Instagram affichée sur mon écran manque de faire tomber ma mâchoire. "Noah vous a envoyé une invitation". Noah. Mon Noah ? Mon premier amour ? Lui ? J'ouvre l'application et tombe sur son profil, public d'autant plus. Toujours aussi dangereux, toujours aussi attirant. J'accepte sans aucune hésitation, me demandant la raison de son retour si soudain. Ma jambe tressaute sous la pression de cette attente lorsque le serveur m'apporte mon café que je règle aussitôt.


Bip


Noah : Julia, j'ai tant d'explications à te donner, j'ai tant à me faire pardonner. Il faut que je te voie. Où es-tu ?


Mon cœur rate un battement devant ses mots. Il est de retour, après tant d'années. Un sourire d'espoir nait sur mon visage, puis mon cœur reprend son rythme, de plus en plus fort en repensant à ces souvenirs, cet amour unique. Cette tendresse que je n'ai plus jamais retrouvée. Celle que j'attends désormais. Un seul message, et mes sentiments se réactivent, comment est-ce possible. Ai-je cessé de l'aimer un jour ?


Julia : Je suis à Woodstock pendant 6 jours encore


Je respire bruyamment, le visage dans les mains. Que se passe-t-il .. Ma vie est un putain de cirque et je perds le contrôle de tout, c'est si douloureux et si doux. Souviens-toi Julia. Son silence, sa distance du jour au lendemain, ma souffrance. Cette pensée me suffit pour reprendre souffle, éloignant de quelques millimètres cet espoir naisant à nouveau.


- Juliaaa!!!!!!!! 

Une femme de l'autre côté de la rue me fait un grand signe. La propriétaire du chalet s'avance vers moi.


- Dis ce soir il y a la diffusion du match le plus important de l'année dans ce bar, ramène-toi on va bien s'amuser !

Dit-elle en mimant une petite danse.


- OK! J'y serai!

Dis-je après quelques secondes de silences. Cathy m'avait rendu quelquefois visite, témoin de ce vide interne, elle a été d'une grande d'aide.


*


Kyan


Je passe l'entrée du bar avec une bonne demi-heure d'avance. Histoire de prendre une bière avec Aaron, mon ami et binôme. Je repère le blond au comptoir en train de draguer, encore ! Bordel, rien ne peut arrêter ce chien. Je ris en secouant la tête avant d'apercevoir la femme face à lui.. Julia.


Merde. Je m'arrête et son regard passe au-dessus de l'épaule de mon ami. Ses iris sauvages se plantent alors dans les miens. Bon allé, on assume mon grand. Je prends une grande inspiration et avance vers eux.


Je sais que je l'ai brusqué, voire même blessé au plus haut point. Aaron a accès à pas mal de données parfois sensibles, car sa femme est flic. Alors, disons que notre curiosité commune est plus grande que ce qu'il faudrait, comme lorsqu'un nouvel habitant débarque par exemple, après tout, la sécurité de la ville est essentielle.. Ouais.. Ce n'était absolument pas parce que cette tête de mule m'intrigue au plus haut point. Jamais. Jamais je ne l'avouerai.


J'ai eu accès à cette enquête, et les images n'étaient pas jolies à observer. Je fronce les sourcils devant ces clichés ancrés dans ma mémoire, alors, je n'ose imaginer l'état de la sienne. Julia a vécu cette réalité, elle l'a prise en pleine gueule et pourtant, elle est là, comme une lionne. Cette femme est forte, mais cette femme a piqué mon égo. Je me suis laissé emporter, ce qui m'a terriblement fait déraper. Depuis, ça m'obsède. Elle m'obsède. J'aurais préféré continuer cette petite guerre avec elle plutôt que de remuer le couteau dans la plaie. T'es vraiment un con, pire, t'es une sacrée merde. J'arrive à leur niveau lorsque je tape amicalement l'épaule d'Aaron.


- Salut gars! Je te présente Julia, mais tu l'as conné déjà, je parie !

Dit-il avec un clin d'œil, le con savait, bien évidemment.

- Je reviens, reprends-moi une bière teup'.


Je me retrouve face à Julia qui se lève précipitamment du tabouret. Saisi ta chance mon pote, c'est maintenant alors range ta putain de fierté car il serait temps d'arrêter de tout détruire. Et cette brunette me donne envie de la protéger, de m'excuser, de plaquer mes lèvres contre les siennes, allez savoir.


- Attends... S'il te plait.


- Tu te fous de ma gueule ?

Sa voix est tranchante, me rappelant que j'ai grave merdé.


- Je suis désolé.


- Ouais moi aussi, pour toi espèce de con.


J'attrape fermement son bras lorsqu'elle tente de s'enfuir, mais dès que ma bouche frôle son oreille, sa voix coupe mon élan. Mes lèvres restent alors mi-closes, les mots à leurs bords sans en prononcer aucun. En une seconde, je ravale mes excuses et mes regrets.


- NOAH??!!


No-quoi ? Je me retourne en lâchant le bras de Julia, et la vois partir dans les bras de ce grand brun. J'aurai juré l'avoir déjà vu quelque part. Aaron se place soudainement à mes côtés. Tous deux les bras croisés scrutant ces retrouvailles. La rage prend possession de mon crâne.


- Putain j'ai déjà vu ce gars


- Moi aussi. Mais je ne sais pas où.


Le regard d'Aaron se repose sur le gars, puis sur moi, encore une fois, deux, ou trois, avant que ses yeux ne s'écarquillent comme s'il avait vu un mort ce con, sa main passe dans sa barbe.


- Putain Kyan. Putain. C'est le suspect du dossier. C'est lui que les flics de Napa ont foutu en taule, il a été relâché le mois dernier. C'était les dernières informations.


S'ensuit un silence, complètement choqué par cette scène ahurissante, improbable qui se tient devant nos yeux. Le souvenir du cliché, son prénom, putain ça me revient. Tout se mélange, je ne comprends rien. Julia serait-elle au courant, ou bien en danger ?


- C'est. Quoi. Ce. BORDEL!!


Mes derniers mots sont criés à travers le bar, tous les clients se tournent vers moi lorsque je m'avance à grands pas vers ce fils de pute que j'attrape par le col. Son dos frappe le mur et ma mâchoire se serre en tenant son regard aussi sombre que l'enfer.


- Les assassins ne sont pas invités dans cette ville enfoiré.


Son regard se fige dans le mien avant que la voix brisée de Julia résonne un "Quoi" comme un écho à ma droite. Je ne la vois pas mais l'imagine, ses grands yeux noisette en bille, ses sourcils surpris et sa bouche laissant passer un filet d'air.


- C'est pour ça que je suis revenue Ju, pour t'expliquer putain.

Dit Noah, la voix prise de remords, de tristesses, j'imagine.


- C'était toi.. non.. ce n’était pas toi.. Noah.. dis-le.. ce n’était pas toi hein.

Son visage se noie sous la tristesse, sans aucun mouvement, ses larmes coulent malgré elle et mon cœur se tord en voyant le sien se briser à nouveau.


- Non non non non je te le promets, ce n'était pas moi, c'était un des gars. Je.. je leur avais dit de ne pas tirer, je te le promets Ju.. Il savait que ton père planquait du fric, je ne pouvais rien faire Ju.. Je te pro...


ARGH!


Mon poing tombe sur sa mâchoire avant que je ne prenne le sien en plein nez. L'enfoiré. Aaron se ramène, les mains serrées, ainsi que d'autres gars présents dans le bar. Tous se joignent à cette mêlée. Les coups s'enchainent, quelques gouttes de sang tombent, mais la rage qui m'anime est bien trop puissante. Pourquoi. Pourquoi je ressens ce besoin de la protéger. Puis. Stop. Les coups s'arrêtent dans les airs. Les regards se croisent. La haine laisse place aux questionnements. Le grincement d'un freinage d'urgence résonne dans la rue suivie d'un impact, un pare-brise brisé, le bruit d'un accident, de son corps sur la chaussée.


Julia.


*


Noah


Cela fait trois ans que je réfléchis jour et nuit aux mots que je vais prononcer, à mes excuses. Trois ans à penser à la fin de mon espoir, celui de reprendre cette histoire inachevée. Je n'ai jamais ressenti ces sentiments à nouveau, je n'ai jamais détruit quelqu'un à ce point. Elle a été mon premier amour, mais sera également le dernier. Le pardon ne se fait pas dans de telles circonstances, alors désormais, ces mots se tiennent à l'intérieur de ma lettre, à présent dans les mains de cet enfoiré pendant que moi, j'ai repris la route. Espérant arriver à bon port sans me foutre en l'air à cause de cette foutue pluie qui ruine ma visibilité. Mais comme je dis "La pluie caresse les larmes et réanime les âmes", sauf que cette nuit, l'une d'entre elle va nous quitter.


Encore une fois, j'ai fui. Lors de la première, j'étais jeune, sa mère m'avait foutu un truc d'éloignement à la con, j'avais fini par me dire que j'étais nocif pour elle. Alors je voulais me mettre dans le droit chemin, pour mon amour, mais j'ai échoué. Lamentablement.


Pour cette seconde fuite, je n'ai plus rien à perdre, plus rien à gagner. Alors je me rends chez mon ancien camarade, l'auteur de ce massacre afin de faire justice, chose que j'aurai déjà pu mettre en œuvre. Mais je ne le pouvais pas, pas avant d'avoir revu son visage.


Aujourd'hui il va payer, ce mec a le bras long et bon nombre de haut placés le protègent, alors, c'est le moins que je puisse faire, pour la seule que j'ai toujours aimé. Je brulerai le monde pour cette femme et c'est bien ce que je compte faire. J'ai déjà les mains tachées de sang, et je suis prêt à le faire, encore, au nom de sa vengeance.


Après c'est promis mon amour,

j'irai danser sous la pluie,

effacer mes larmes

en pensant à ton sourire.


 

FIN



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