TW : récit sombre sur la santé mentale, abordant les violences et le suicide
Le quartier était encore endormi lorsque leurs regards se croisèrent. Lui, comme tous les matins, se dirigea vers la boulangerie, elle, venait de rompre et rentra à la maison.
Elle était l'incarnation du désordre, sur le dos son sac abîmé, les cheveux maladroitement coiffés, un t-shirt ample et une allure de lendemain d’ivresse. Il l'observa en se posant une tonne de questions. Mais ses yeux couleur café, remplis de larmes, l'interpellèrent sans se soucier du reste. Témoins de sa profonde détresse, il ne put s'empêcher de l'arrêter.
« Hé… tu… est-ce que tu vas bien ? » l'interrogea-t-il en fronçant les sourcils l'air inquiet, le ton plus froid que ce qu'il aurait souhaité.
Elle leva ses yeux surpris, avant de prendre une profonde inspiration. Lorsqu'ils se reposèrent sur l'inconnu, grand et imposant, elle capta son regard, doux et inquiet. Un instant, elle se perdit dans la profondeur noire de ses iris. Elle lui sourit faiblement, et répondit :
« Super ! Le plus beau jour de ma vie ! »
Le plus beau, parce qu'au fond d'elle, elle espérait que ce soit le dernier. Pendant cet instant de flottement où ils se dévisagèrent sans ciller, elle se demanda, à quoi pense-t-il ? Prise par l'angoisse qu'il lise en elle, elle manqua de trébucher en reprenant sa route sans se retourner.
Lui, resta planté sur le trottoir, la fixant sans savoir quoi faire, sans pouvoir bouger, totalement impuissant, secoué par cette présence. La pluie commença silencieusement à tomber, probablement le trop-plein de tristesse de cette femme qui raisonna dans les nuages. Les gouttes sur son visage le ramenèrent à la réalité. Liam regarda autour de lui, puis marmonna avant de donner un coup de poing dans la boîte aux lettres devant lui. Il reprit son chemin en passant la main dans ses cheveux l'air désemparé. Ses vieux démons désormais de retour sur son épaule. C'est pour cette raison qu'il préférait sa solitude, même s'il était animé par le fait d'aider les autres, dans sa vie personnelle il était un ours sauvage de peur que ses souvenirs le prennent en otage.
La porte de son appartement claqua violemment. Son sac vola dans les airs. Ava ne put s'empêcher de jurer lorsque son téléphone sonna. C'était lui, encore. Neuf appels manqués depuis qu'elle avait récupéré ses affaires. Ce chien ne comprenait pas que lorsqu'on faisait de la merde, on s'y retrouvait noyé, seul, avec ses regrets. Et oui, des tonnes de messages retrouvés dans son téléphone, tous aussi ambigus les uns que les autres. Elle s'en doutait, mais aujourd'hui, elle en avait la certitude. Alors le cœur brisé, une fois de plus, elle se jeta sur son lit, le visage dans son coussin, prête à crier sa haine, son dégoût pour l'humanité, son amour piétiné. Elle s'autorisait enfin à laisser aller son chagrin. Encore et encore, la sonnerie de son téléphone résonnait au loin.
Maxime était la seule personne dans son quotidien, sans lui, elle retournait à cette errance, elle n'avait plus la force pour se relever, plus maintenant. Ava avait déménagé il y a 2 ans, coupant les ponts définitivement avec sa famille, celle qui ne l'a jamais soutenu, celle qui l'a détruite. Alors elle eut envie d'un nouveau départ, mais au bout de quelques mois, ne connaissant personne, la solitude a eu raison d'elle, retombant dans divers vices et soirées ou règne la débauche comme dans sa jeunesse.
Six mois plus tôt, Maxime est apparu lors d'une soirée, Ava buvait un verre au bar lorsqu'il a glissé un blague écrite sur une serviette, elle s'en est emparée et fit de même, un éclat de rire les rapprocha, leurs yeux brillaient par l'alcool et l'alchimie naissante. Elle tomba rapidement sous le charme de ses cheveux bruns, sa mèche indomptable sur son front qu'elle s'obstinait à remettre en place, son parfum boisé et son rire doux comme le miel. Mais petit à petit la manipulation est entrée dans la danse, ça a commencé par des mensonges, puis ces messages, ces appels, ces retards. Dès que le sujet se posait sur la table, Maxime s'agaçait, fuyant la discussion, lui disant qu'elle était folle, qu'il ne supportait plus ses reproches. Elle s'est tût, refusant de replonger dans la solitude, mais aujourd'hui sa patience a atteint sa limite. Elle sait, il n'est pas prêt à s'engager tandis qu'elle, est prête à tout donner. Ava vivait pour l'amour, par l'amour, c'était finalement sa seule raison de vivre. Et pourtant, elle répétait sans cesse les mêmes relations, chaotiques, destructrices.
Liam entra dans la boulangerie, l'odeur des viennoiseries et du café plane dans l'atmosphère. Comme à son habitude, il commanda un expresso sans sucre et un croissant en s'installant sur l'une des banquettes bleues et moelleuses. Il repensa à ses yeux, à son sourire, à son doux visage possédé par la rage et la tristesse. Si belle et pourtant si brisé. Elle lui rappela quelqu'un, sa mère, Hélène, car elle aussi a eu ce regard, vide, emplie de désespoir, mais il n'a pu la sauver.
À l’époque il avait quinze ans, son père venait de se barrer avec la meilleure amie de sa mère, la laissant seule totalement détruite après une vie de violences. Malgré les années, la culpabilité n'a jamais quitté Liam, il se demande encore, si un mot, un geste avait pu la sauver. Assis près de la fenêtre, il réfléchit en regardant la pluie tomber, pensant au passé, à l'enfant qu'il était, aux fossettes de sa mère, à l'inconnue. Il se demanda si ses larmes continuaient de couler sans fin comme la pluie d'aujourd'hui. Avec le vécu, l'expérience, on apprend malgré soi à déceler les cris de l'âme, et le sien lui avait crié "sauve-moi".
Ava chercha, en vain, dans tous les placards de l'appartement, quelque chose pour s'assommer, comme, un vieux médicament oublié. Elle connaissait ses phases sombres, alors, chez elle, rien n'était laissé au hasard, elle savait qu'elle devait se protéger d'elle-même. Ce n'était pas la première fois que ça lui arrivait, son âme bien trop à vif demandait à en finir à la moindre souffrance trop intense.
À peine 10h du matin, elle prit la bouteille de whisky dans le placard sous l'évier, celle qu'elle avait achetée pour lui. Quelle ironie ! Elle eut à peine le temps de sortir un verre du placard que le bruit d'une sonnette retentit. L'insonorisation de son immeuble inexistante, elle ne savait jamais si c'était chez elle, ou chez ses voisins. Alors elle râla intérieurement, se disant que c'était probablement encore un démarchage à la con. Son liquide de mélancolie ambré prêt, elle but le premier cul-sec, puis un second et un troisième. Son quatrième en main, elle sortit de la pièce afin de reprendre place sur le canapé. Le calme pouvait enfin s'inviter, effaçant les douloureux souvenirs de son passé, ces flashs qui revenaient sans cesse la hanter.
Son appartement n'était pas immense, mais agréable à vivre, chaleureux et réconfortant, à l'odeur de l'encens parfumé qu'elle a fait brûler la veille. Alors elle s'assit en tenant son verre sur le rebord du canapé, une voix résonna dans le couloir, comme un bruit lointain. Ava fixa le mur et se perdit dans le vide de son esprit, laissant son poison faire effet.
Mais le calme n'était plus lorsque quelqu'un frappa sauvagement à la porte. Surprise, elle fit tomber son verre qui se brisa sur le sol. Elle ne put s'empêcher de râler, puis, au vu du bruit, elle ne pouvait pas jouer le fantôme comme s'il n'y avait personne alors, elle se leva embrumée par son poison jusqu'à la porte.
Elle s'ouvrit lentement, après avoir toqué à toutes les portes du premier étage, Liam tomba enfin sur la bonne. Suite à leur rencontre, il a vu Ava tourner dans son hall, deux avant le sien, c'était donc une voisine jamais vue jusqu'alors. Plus de trois heures étaient passées depuis cet instant, et pourtant, impossible de la sortir de sa tête, ni elle, ni son regard empli de détresse. Au risque de passer pour un fou, il ne voulait pas avoir de " et si " dans sa conscience alors, il se retrouva sur son palier. Passant la main dans ses cheveux et brisa le silence.
« Je ne sais pas qui tu es, ce que tu vis, mais si t... »
Ava écarquilla les yeux et claqua la porte. Elle glissa sur toute sa longueur pour s'asseoir derrière, en portant la main à sa bouche, un flot de larmes coulant sur ses joues. Liam l'entendit et glissa de l'autre côté en continuant sa phrase.
« Si tu as besoin d'aide.. Putain.. je connais la raison de ton regard. Ne fais pas de la merde. Entrée E, tu peux sonner chez "Willow". Ne te laisse pas tomber. »
Ava renifla bruyamment avant de répondre, la bouche endormit par l'alcool.
« Qu.. qui me dit.. que.. t'es pas un psych.. psychopathe tueur d'abord einh! »
Liam se pinça l'intérieur de la joue afin de ne pas rire.
« Tape mon nom sur google et juges par toi-même. Liam Willow. Et arrête le whisky, ça fait puer de la gueule ! »
Il entendit pouffer derrière la surface en bois, alors il sentit l'espoir. Le rire est bon signe lorsqu'il est franc. En se relevant, il entendit un merci silencieux. Puis, Liam descendit les escaliers déstabilisés par la voix de son inconnue, son rire, ce mystère qu'il eut envie de rassurer. Elle avait un je-ne-sais-quoi qui lui donnait envie de la protéger. Intrigante. Attirante. Qui est-elle. Le souvenir de sa mère alors envahissant.
Ava attrapa son téléphone d'une rapidité déconcertante et ouvrit une page internet :
"Liam Willow, un jeune homme au passé complexe, anime des groupes de parole afin de venir en aide aux personnes souffrantes de solitudes. Une main tendue, une porte ouverte peut sauver des vies a-t-il déclaré. Liam n'a pas eu une vie aisée, ce qui aujourd'hui, le pousse à aider son prochain. Livré à lui-même depuis ses 15 ans, il a dû se battre pour vivre après le suicide sa mère, sombrant dans la drogue, l'alcool et la violence. Liam est un homme qui a du faire preuve d'une grande résilience, il souhaite aujourd'hui partager et aider afin de sauver autrui comme il aurait aimé l'être. Les groupes de parole sont ouverts chaque premier dimanche du mois à toute personne ayant besoin de se confier, de sortir de leur isolement. Pour plus d'information, contactez Liam Willow".
Bordel de merde ! La vie ne cesse d'être ironique ces temps-ci pensa-t-elle. Ava enregistre le numéro inscrit sur le site avant d'envoyer un message, espérant que ce soit bien celui de Liam.
Ava : Est-ce que les dépressives sont acceptées dans tes groupes ou je risque de me recaler par le videur ?!
Merde pensa-t-elle, c'est pourri comme approche. Impossible de faire machine arrière, elle attendit sa réponse durant de longues minutes se perdant dans ses pensées. Et si c'était un signe, le signe qu'il était temps de panser les blessures. Foutaise. Elle avait déjà tenté les thérapies, en vain, le contact a toujours été difficile, car ses traumatismes bien trop ancrés, trop anciens, trop profonds. Et pourtant, elle sentait ce besoin, cette envie de guérir sans savoir comment. La sonnerie de son téléphone la sortit rapidement de ses pensées.
Liam : Si tu viens de ma part, tu seras VIP ;). Sérieux, t'as quelqu'un a qui parler de ce que tu vis ?
Ava : Non
Liam : Ça nous fait un point commun. 14h au café Octave, je paye ma tournée de tisanes!
Les heures défilent et en même temps, semblent une éternité pour Ava et Liam qui, chacun de leur côté s'impatiente sans le savoir. Quand l'heure tant attendue prit place, Ava s'avança un sourire timide aux lèvres, les yeux encore gonflés des litres de larmes qu'elle a versés plus tôt. Dehors, la pluie s'est arrêtée laissant place à un soleil brûlant, comme ses émotions à l'instant, brûlante d'impatience et d'appréhension.
Liam l'accueille avec une douceur déconcertante, ils prirent place à l'intérieur du café, une place intimiste où chacun pourra s'exprimer sans crainte d'être écouté par tout le quartier ! Les minutes, les heures passent, les cafés s'enchaînent, les secrets, les larmes, les rires. Elle se confia sur ses pensées inavouables, il lui parla de sa mère. Chacun à leur tour baissa la garde, et ce, jusqu'à la fermeture, partageant leur plus profonde solitude comme une invitation à leur véritable monde.
Ava s'apprêta à entrer dans son hall, quand Liam lui saisit la main. Cet instant suspendu allait donner un tournant à leurs destins. Peut-être est-ce véritablement, le plus beau jour de sa vie.
"Une main tendue, une porte ouverte peut sauver des vies." - Liam
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